vendredi 25 juillet 2008

Livre Premier : Chansons Napolitaines

CHANSONS NAPOLITAINES


J’aurais découvert Naples au travers d’un roman méconnu d’Alexandre Dumas : « La San Felice ». Injustement méconnu, et pourtant, né de la nécessité : il révèle un Dumas dans le culte de son père, général Républicain fait prisonnier en 1799 par la coalition royaliste liguée contre l’éphémère République Parthénopéenne, et qui, libéré après vingt-cinq mois terribles de détention, mourra à peine trois ans et demi après la naissance de l’écrivain.
Un roman qui en quelque sorte serait né trois ans avant la naissance de Dumas, donc…Rendant impérieux son engagement aux côtés de Garibaldi, chemise rouge du Risorgimento, pourvoyeur d’armes, enrôleur, rédacteur en chef de l’Independante et enfin directeur des musées et des fouilles. Les pages de ce récit épique et passionnant auraient aussi été un guide magnifique des rues de Naples, dont Dumas écrivait, après le départ d’un séjour en 1845 :
« En m’éloignant de ce pays enchanté, j’éprouvais donc quelque chose de semblable à ce qui doit se passer dans l’âme de l’exilé disant un dernier adieu à sa patrie. Oui, je m’étais épris de tendresse, de sympathie et de pitié pour cette terre étrangère que Dieu, dans sa prédiction jalouse, a comblée de ses bienfaits et de ses richesses ; pour cette oisive et nonchalante favorite dont la vie entière est une fête, dont la seule préoccupation est le bonheur ; pour cette ingrate et voluptueuse sirène qui s’endort au bruit des vagues et se réveillant aux chants du rossignol, et à qui le rossignol et les vagues répètent dans leur doux langage un éternel refrain de joie et d’amour… »

Tous deux épris de l’Italie, nous aurions voulu constater de visu ce formidable appétit de vivre prêté aux napolitains.

Plus attachée aux arts vivants qu’aux arts plastiques, la « Ville neuve » ? Sans doute, car nous ne connaissions pas de grand peintre, ni de grand sculpteur qui en soit originaire, à la différence de Florence. Ceci sans compter sur les tableaux de peintres essentiellement étrangers que collectionnait la famille royale. Flaubert, ce grand voyageur, s’extasiait en son temps sur une Adoration des Mages de Lucas de Leyde, aujourd’hui au Capodimonte.

Des musiciens, par contre, nous en aurions découvert à la pelle. De Gesualdo, le fantasque musicien assassin, à Paisiello, en passant par les Pergolese, Cimarosa ou Piccinni, en n’omettant pas les célébrités de passage, comme Roland de Lassus, devenu pour la circonstance Orlando di Lasso, ou encore le praguois Joseph Myslivecek, que les napolitains pour la commodité appelaient « Il divino Boemo ». Et Bellini, d’origine sicilienne, mais formé au Conservatoire de Naples, l’auteur de tant d’opéras à succès ! Et même Stravinski, qui, bien avant de trouver sa dernière demeure dans le cimetière de l'île San Michelle, à Venise, exhumait les oeuvres de Pergolese et de ses contemporains pour en faire, à la manière d'un pastichio le ballet Pulcinella, et son trio vocal amoureux.

Ce qui était l’esprit de Naples se retrouvait pleinement dans le contenu des canzone villanesche que j’aurais livrées à tes oreilles encore jeunes et naïves (!) : elles sont souvent friponnes, et en tout cas galantes, mais la plupart des musiciens sérieux n’hésitaient pas à en composer au XVIe siècle. Le fado ne se serait guère acclimaté sous le ciel napolitain.

La traduction des paroles de « Madonna io sono un medico perfetto » t’aurait particulièrement amusée et moi-même, d’humeur badine, j’aurais fait étalage de mes talents de médecin à la manière de la chanson.

De notre chambre à l’hôtel Rex, sur le front de mer («bien situé entre le théâtre San Carlo et les plages », disait le guide) nous aurions pu entendre l’écho des chansons napolitaines d’aujourd’hui, aubades lancées à la cantonade :

Te voglio, te cerco, te chiammo, Te veco, te sento, te sonno…

Nous aurions pu, tôt le matin – oh, une fois, seulement !- en l’absence d’autres touristes, redécouvrir la Parthénope éternelle,

« Celle de l’avenir, plutôt que celle du passé, décor permanent pour les scènes de plusieurs siècles ; longues perspectives de façades jaunes, blanches, roses et gris-bleu quadrillées de vert par les persiennes et les volets, de terrasses, de cirques où la lumière est toute seule au centre de sa conquête, de colonnades, de portiques, de statues. »
Puis nous aurions retrouvé les cris et la musique de Naples au Mercato, lieu où, paraît-il, la Campanie déverse tous ses fruits, et le golfe, tous ses poissons !

Nous aurions, instruits par Dominique Fernandez, retrouvé les joies de l'enfance en dégustant les goûteux gâteaux napolitains, et flânant dans toutes les églises baroques et les palais légués par la domination espagnole
O ces voûtes croûlantes de nappes onctueuses, O ces vieux ors brunis comme des fleuves de caramel...

Nous serions descendus vers Santa Lucia prendre un bain de mer, comme les Napolitains, près du Castel dell’Uovo, l’un des monuments les plus anciens de Naples..

Aurions-nous pu y retrouver, parmi les pièges à touristes, l’un de ces fameux restaurants populaires où l’on peut manger des langoustes excellentes et des macaronis aux fruits de mer arrosés de vin de Capri, essentiellement fréquenté des napolitains et des initiés, et même déguster une vraie mozarella de buflonne, arrosée d'huile d'olive vierge et d'origan? Les chants auraient été à nouveau au rendez-vous.

Il paraît que la route qui monte de Santa Lucia jusqu’au Volmero est l’une des plus exquises qui puisse se trouver en Europe. 4 Nous l’aurions empruntée de nuit, après le repas, pour voir Naples, son golfe, ses îles, le Vésuve, briller de tous leurs feux.

Nous aurions plusieurs fois repris ce chemin de jour, à pied, en voiture ou par le funiculaire, pour nous émerveiller tantôt des jardins qui l’entourent, avec leurs citronniers, leurs bigaradiers, leurs pins, leurs palmiers, leurs cyprès ; tantôt de l’affleurement des rochers sous la végétation ; tantôt des habitations. Échappant à l’absurde babil d’un barbant barbouilleur, nous aurions pris l’habitude de nous asseoir au sommet du Volmero pour contempler au grand soleil ces splendeurs que nous n’avions pu qu’imaginer dans la nuit, puis pour ouvrir un livre, ou simplement, nous reposer après l’effort de la montée, près du château Saint Elme ou mieux, sur sa terrasse.

Pour finir un séjour dans cette ville dédiée à la musique, nous n’aurions pu trouver rien de mieux, après des emplettes à la galerie Umberto II, que d’aller au San Carlo écouter et voir La Norma de Bellini et son célèbre « Casta Diva », immortalisé par La Callas.

(Le manuscrit de « La San Felice » est aujourd’hui à Prague, heureuse coïncidence avec ce qui suit.)




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