jeudi 24 juillet 2008

Livre 2:PETIT SUPPLEMENT AUX VOYAGES EN MEDITERRANEE


La vita continua anche Si un sogno cadé

Claudio Baglioni


À quoi bon en parler ? Il m’arrive parfois, La nuit, de rêver que je suis là, ou bien là, Et au matin, je m’éveille avec un désir de voyage.

Valery Larbaud



SYNGRAPHEAS


Ariane : Ne trouves-tu pas que tu fais ton intéressant, avec un tel titre ? (Ici, l’auteur a édulcoré l’expression habituelle de sa locutrice, plus imagée, mais moins dans le ton de ce qui suit).
Zénon : C’est avant tout un hommage à Diderot. J’ai découvert naguère, à Tournai, près de la cathédrale, rue du Puits Wagnon, un « bar à lire » dont le nom de baptême est l ’« Ephémère ». Espérons que ce lieu ne le sera pas, car j’espère bien t’y emmener un jour ! Dans ce petit café, il y a, en effet un choix très éclectique d’ouvrages, qui vont du « Grand Sommeil » de Chandler au « Lion » de Kessel en passant par…
A : Le rapport avec ton titre ?
Z : J’y viens, patience !… En passant par le « Supplément aux Voyages de Bougainville » de Denis Diderot ! Ce petit ouvrage que j’ai redécouvert là-bas présente à mes yeux deux intérêts : son thème et son style.
A : Son thème ? J’ai deviné que cela avait quelque rapport avec ton goût actuel pour les histoires de voyage.
Z : Tout juste ! Diderot apporte des compléments et des développements à un article qu’il a réalisé sur les récits de voyage de Bougainville. Il utilise à sa manière le procédé des « Lettres Persanes » en examinant nos mœurs au travers du regard d’un tahitien.
A : Et le style ?
Z : Très typique du travail d’écriture de Diderot : Il utilise la forme dialoguée, comme nous le faisons en ce moment ! Deux locuteurs, A et B, expriment leurs opinions à propos des « Voyages autour du monde » de Bougainville. Ce procédé a été utilisé de nombreuses fois par Diderot. J'ai d'ailleurs découvert récemment, dans le même genre, l' « Entretien d'un philosophe avec la Maréchale de *** », qui m'a beaucoup plu. Surtout la description de la dame: « Elle a la douceur peinte sur son visage; et puis un son de voix et une naïveté de discours tout à fait avenants à sa physionomie ». « Un tableau de Raphaël du plus beau style », écrit encore Diderot ...Le dialogue est piquant, et la dame bien moins naïve qu'il ne le dit. J'ai pensé à toi.

A : Je ne sais pas comment je dois le prendre...Mais si je comprends bien, tu m’enrôles dès à présent dans ton opuscule. J’espère ne pas y être seulement un faire-valoir !

Z : Que non ! Nous partirons ensemble, par l’imagination et le souvenir, autour de la Mer par excellence, mare nostrum, Méditerranée, les villes les plus merveilleuses qui l’entourent, souvent créées ou modelées par les peuples voyageurs, phéniciens, grecs, juifs ou arabes. Par l'imagination, les souvenirs, et les livres aussi. Grâce à eux, j'ai embelli ma vie de voyages que je n'ai pas faits. « Je suis avant tout un lecteur. Ce sont mes lectures qui déterminent ce que j'écris »2. A la différence de Baldassare, le livre que je recherche au cours de ces voyages est en train de s'écrire. Et tu contribueras autant que moi à cette découverte littéraire. Tu sais, j’ai appris récemment de Jacques Lacarrière que le mot utilisé par les grecs pour désigner l’écrivain est « Syngrapheas », celui qui écrit avec… Avec qui ? Avec ses lectures, ses lecteurs, ceux qui l’entourent. Eh bien moi, je ne saurais écrire pour moi seul ; j’écris avec toi et pour toi, qui me lis, qui suggère, qui propose, et qui m'as arraché à ma vieille enveloppe. I have written nothing but in care of thee.

A : Tu ne me demandes pas mon avis ?

Z : C’est l’avantage du narrateur : j’ai posé une fois pour toutes le principe selon lequel tu étais d’accord pour participer à cet échange. De toute façon, c’est moi qui écris, je retranscrirai tes contributions et j’inventerai au besoin tout ce que tu ne diras pas, si cela m’est utile. Mais je connais ton intérêt pour ces rivages que je veux évoquer et je suis sûr que tu voudras bien, directement ou indirectement, dérouler pour moi le fil de tes voyages, le mêler aux miens. Compte sur moi pour butiner auprès de toi, petit à petit, et parfois sans que tu t’en rendes compte, tout ce qui fera mon miel.

A : Eh bien, soit, nous échangerons ensemble, comme l’écrivait Lacarrière, à propos de « tous les lieux, rumeurs, parfums, chants et visages » qui peuplent ton imaginaire, tes souvenirs et les miens, comme nos lectures communes. Quelque chose me dit que tu as déjà commencé, comme tu le dis, à « butiner ». Bzz !

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