DE LA TOUR DES VENTS AU LYCABÈTE
Je me rappellerai toujours les promenades dans Athènes la nuit,sous les étoiles de l’automne. Souvent, je grimpais jusqu’à une falaise, juste au pied du Lycabète,et je restais là une heure ou deux, à contempler le ciel. L’extraordinaire de ce spectacle, c’était son caractère si spécifiquement grec - non seulement le ciel, veux-je dire, mais les maisons, leur couleur, les routes poudreuses, la nudité, les bruits qui venaient des demeures.
Henri Miller,
Le Colosse de Maroussi
Z : J’ai des souvenirs très fugaces du Pirée, qui est avant tout le port d’Athènes, mais, d’Athènes, j’ai bien des images dans la tête, même si mon séjour y fut bref. Un petit-déjeuner au yaourt de brebis, et un autre jour, au riz au lait parfumé à la cannelle, au Brettania, sur la place Omonia ; une visite au Musée National d’Archéologie, le Lycabète, alors entouré d’un halo dû à la pollution, ce fameux « nephos », le Parthénon, mais un Parthénon encombré de touristes, ayant perdu une part de son attrait. Je songe à ce qu’écrit Kazantzaki à propos du Parthénon dans sa « Lettre au Gréco » : le fleuron de l’Acropole ne séduit que progressivement; d’abord une connaissance rationnelle, sa construction géométrique, puis l’attrait irrésistible du monument auquel on revient, jusqu’au moment où, enfin, le cœur bondit de joie. Quel trophée était-ce là, qui se dressait devant moi, quelle coopération de l’esprit et du cœur, quel fruit sublime de l’effort humain !
Je n’ai guère eu le temps, moi, de me laisser séduire. De même, je n’ai plus aucun souvenir du petit temple d’Athéna Nikè, qu’admirait Jacques Lacarrière. Le temps de mon retour en Grèce est-il venu ?
Mais si, toi, tu devais me faire découvrir ce que tu aimes le plus à Athènes, hormis tout ce qu’on en connaît, que choisirais-tu ?
A : Des merveilles du Musée Archéologique national (ah cette statue pleine de charme d’Aphrodite frappant Pan de sa sandale !), je garde d’abord les kouros .
Z : …Les kouros ?
A : Ce sont les statues antiques qui représentent des athlètes nus. Elles sont légion au Musée Archéologique National, et toutes plus belles les unes que les autres.
Z : Quel enthousiasme ! Pour ma part, je me vois davantage en Oblat des jeunes Koré, comme l’écrivait Elytis. Et puis ?
A : Au-delà de tout ce que tu pourras découvrir sur l’Acropole et que visitent consciencieusement tous les touristes, j’ai deux autres souvenirs forts : le « Musée des Instruments de musique populaire grecque » à Monastiraki, près de la tour des vents, dans un quartier que j’aime ; et, bien sûr, les nuits d’Athènes .
Z : j’ai eu l’occasion de visiter, à Bruxelles, un très beau musée des instruments dans ce qui fut le magasin Art Nouveau « Old England ». La variété et le nombre d’instruments traditionnels ou classiques issus de tous lieux en ce monde restent pour moi une source d’émerveillements.
A : Tu ne serais pas déçu par son homologue grec. Les instruments exposés se rattachent cependant exclusivement à la musique traditionnelle grecque des origines à nos jours. À commencer par toutes les percussions essentielles aux rythmes musicaux, mais aussi les cloches qu’on accroche aux cous des béliers et autres animaux champêtres. Je me souviens aussi de ce magnifique oiseau factice posé sur un mât et affublé de deux grelots, qu’une ficelle actionne à l’intérieur du mât. J’imagine aussi ces nomismata de carnaval, le corps plastronné de pièces dorées ou argentées qui tintent au rythme des danses.
Viennent ensuite toutes les variétés d’AEROPHONA, flûtes rustiques ou trompettes guerrières, bombardes ou hautbois, Gaïdas et zournas, ces cornemuses en peaux de moutons que l’on retrouve ici comme dans toutes les contrées, du bassin méditerranéen aux pays nordiques.
Et, bien sûr, les XORDOPHONA, ces instruments à cordes grattées ou frottées, à commencer par la fameuse lyre à la coque de tortue dont je t’ai parlé. Du plus rustique au plus richement orné, tu découvriras bien d’autres instruments que notre célèbre bouzouki !
Z. Et les nuits d’Athènes ?
A : C’est d’abord un moment appréciable l’été, quand la chaleur a été étouffante. On commence la nuit attablé à un café autour de Syntagma, autour d’un mezze. Je connais quelques ouzerias qui valent le détour. On discute, on refait le monde. Vers onze heures du soir, on prend, à deux le plus souvent, le funiculaire qui va jusqu’au sommet du Likavitos. Rassure-toi : il y a des funiculaires très tard, si tu ne veux pas redescendre à pied ! Là-haut, de la terrasse du Dionysos, tu as la plus belle vue d’Athènes . Certes, la nuit, tu devineras plus que tu ne verras la mer, au loin. Mais tu pourras admirer, sous un ciel d’habitude étoilé, tous les monuments éclairés, et toute la ville qui continue de s’agiter à tes pieds à une heure fort tardive.
Z : Pour parfaire mon bonheur, j’aimerais que, telle l’étudiante athénienne rencontrée par Jacques Lacarrière, tu me récites par cœur, sous ces étoiles, tous les vers de Racine que tu connais.
A : J’entrevois tes plans…
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