vendredi 25 juillet 2008

Livre 2 : « TU ES TYR TOMBEE DE LA POCHE DE L’HISTOIRE »

« TU ES TYR TOMBEE DE LA POCHE DE L’HISTOIRE »


Tyr, c’est toi qui as dit : Moi, je suis parfaite en beauté ! Tes frontières étaient au cœur des mers. Tes constructeurs avaient parachevé ta beauté. Ils avaient construit pour toi en cyprès de Senir tous tes bordages. Ils avaient pris un cèdre du Liban pour en faire sur toi un mât. Ils avaient fait tes rames en chêne de Basan . Ils avaient fait ton pont en ivoire incrusté dans des cèdres des îles de Kittim…
La Bible,
Ancien Testament, Ezechiel XXVII


Z : J’ai rêvé, dans mon périple, de m’arrêter dans l’antique ville de Tyr, déjà citée par Hérodote, qui imagine sa fondation plus de vingt siècles avant J.C…

Tu fus île et forteresse Et une halte pour les voyageurs Le jour ne suffisait pas pour bâtir Ni la nuit pour rêver
(
Abbas Beydoun, Le Poème de Tyr)

Ce qui est établi, c’est que Tyr fut d’abord une cité phénicienne d’un dynamisme commercial rare ; que c’est de là que partirent les fondateurs de Carthage et de Cadix.
Qu’elle fut le siège, sous domination romaine, d’une importante école de philosophie, dont un autre Zénon, phénicien né à Kition, fut l'un des plus illustres ; qu’elle fut un temps la résidence du roi croisé de Jérusalem, avant qu’il ne soit occis par un membre de la secte des Haschichin.
J’en ai rêvé, mais c’était avant la guerre de trente-deux jours subie il y a si peu de temps...

Par toi passent les soldats en fuite Et de tes fenêtres Ils tirent sur les gens dans les marchés…(idem)

J’ignore ce qui subsistera de la ville quand la paix sera vraiment revenue.
J’ose espérer qu’une cité qui a survécu à Nabuchodonosor (13 ans de siège !), Alexandre le Grand (7 mois de siège et 8000 habitants massacrés, ce qui, paradoxalement, indique l’importance de la ville à l’époque), qui a survécu également aux Romains, aux croisés (après un siège de cinq mois, soutenu par la flotte vénitienne), aux mamelouks, aux Ottomans, et déjà une première fois aux Israéliens, saura retrouver sa splendeur.

Tu es Tyr tombée de la poche de l’histoire…

A : Peut-être. Mais sa population, naguère encerclée comme jadis, privée de moyens logistiques comme une bonne partie du Liban, a failli périr de famine. Je souffre comme toi de cette nouvelle guerre qui m’a empêchée de repartir vers ces terres et qui les a dévastées. Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui les fils d’Israël envoient des chasseurs bombardiers et des soldats sur Tyr (Sor, en phénicien, ou Tsor, en hébreu, une langue si proche, c’est-à-dire le rocher), alors que la Bible évoque l’amitié légendaire du roi Hirom 1er de Tyr et du roi Salomon, qui bâtit son temple grâce aux cèdres offerts par les libanais !
Je dois à la vérité de dire que les cèdres, qui firent une partie de la renommée de ce pays, ont quasiment disparu– il n’en reste que quelques petits bois ! Lamartine, déjà, dans ses Voyages en Orient, dénonçait ce pillage d’une ressource si précieuse :
« Ce sont des êtres divins sous forme d’arbres. Ils croissent dans ce seul site des groupes du Liban ; ils prennent racine bien au-dessus de la région où toute grande végétation expire. Tout cela frappe d’étonnement les peuples d’Orient, et je ne sais si la science n’en serait pas étonnée elle-même. Hélas ! Cependant Basan languit, le Carmel et la fleur du Liban se fanent. Ces arbres diminuent chaque siècle… »
Les guerres successives n’en sont pas la cause, mais l’insouciance des hommes vis-à-vis de leur patrimoine naturel.
J’ai aussi voulu me rendre à l’antique cité qui tirait ressource de la pourpre et du verre. Tu connais la légende de la découverte du murex ? Venant de Beyrouth, je suis allée, après le retrait israélien de l’an 2000, au-delà du Litani pour la découvrir.

J’ai voulu voir ce pays dont les femmes, sœurs, épouses et filles de roi ont laissé tant de souvenirs sur les deux rives de la Méditerranée : Didon-Elissa, créatrice de Carthage, amoureuse abandonnée, celle-là, par le Troyen Enée ; Cassiopée, Andromède, et peut-être plus encore, Europe, fille d’Agénor, enlevée par Zeus déguisé en taureau et conduite en Crête…Ou encore Jézabel, épouse du roi des juifs Achab.
J’ai voulu enfin y voir les traces d’un peuple qui apporta aux Européens l’écriture alphabétique. Hérodote relate la légende de Cadmos, frère d’Europe, parti à sa recherche, et livrant aux Grecs de Thèbes, parmi tant de connaissances nouvelles, cet outil merveilleux et désormais indispensable qu’ils dénommèrent, par reconnaissance, phoinikeia grammata…
Tu serais bien en peine, sans cette invention !

Z : « Aujourd’hui, Tyr est un paisible port de pêche où les traces du passé grandiose sont partout visibles. », écrit le dessinateur Jacques Ferrandez…

A : Oui. Le passé glorieux est enfoui dans l’univers banal d’un petit port de pêche trop près d’un fleuve convoité.
Il faut lire "Phénicia" d'Alexandre Najar pour imaginer la cité du temps de sa slendeur phénicienne : Sous le ciel bleu ou sous l'ébouriffant Africus, qui se lève sans crier gare et malmène les palmiers, la cité comprenait deux quartiers : le quartier ancien, construit sur la terre ferme, et le nouveau, bâti sur l'île, solidement fortifié de l'enceinte "la plus grande ques des mains d'hommes eussent jamais élevés", abritant demeures et palais. Deux quartiers et deux ports : l'un regardant vers Sidon, au Nord, l'autre, vers l'Egypte, au sud.
Alexandre, après avoir enduré sept mois la résistance des phéniciens rasa tout, relia définitivement l'île au continent et rebâtit la ville.
De Tyr, je garderai le souvenir de la nécropole et de l’hippodrome romains : Concernant la nécropole, même s’il paraît que les plus beaux sarcophages ont rejoint Beyrouth au Musée National, ceux qu’on peut encore voir sur place sont fort intéressants, ornés de scènes bucoliques, de chasse ou évoquant l’Iliade.
Les restes d’un aqueduc subsistent aussi sur le site. Il conduisait à Tyr l’eau captée au sud de la ville.


De l’hippodrome, je n’ai vu que de quoi imaginer qu’il s’agissait de l’un des plus vastes du monde romain : une partie des gradins et le champ de course proprement dit.
C’est peu de chose pour évoquer la splendeur passée de la cité phénicienne, d’autant, comme tu le vois, qu’il n’y demeure de phénicien que son histoire. Mais ce paisible port de pêche de naguère, au large du quel il arrivait au poète Kavvadias de prendre son quart lorsqu’il allait à Alexandrie avec un cargo, continue de faire rêver.


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