mardi 21 décembre 2010

Zénon parle d'une très veille ville




Zénon parle d'une très vieille ville.

Ariane : Où as-tu pris cette photo?
Zénon: Tu n'as pas d'idée?
A. : Non. Tu sais, je n'ai pas tant voyagé que cela!
Z. : Vraiment? Notre conversation me rappelle trop une scène de « La fille coupée en deux ». Tu sais, celle où l'héroïne regarde par dessus l'épaule de son vieil amant une photo de Lisbonne...
A. : Je me souviens de la séquence. Une photo d'un tramway descendant dans une rue étroite du Chiado. Et plus tard, une séquence du film où l'héroïne ne trouve rien de mieux que d'y entraîner celui qui prétend lui faire oublier le vieux amant.
Z.: Oui, une histoire d'initiation amoureuse (et même littéraire, quoi que d'un genre qui n'a pas grand'chose à voir, sauf au figuré, avec les histoires de voyage). Une histoire de rupture aussi, de manque, de voyages faits avec d'autres, la vie, quoi, sauf que là, au lieu d'être une comédie un peu triste, cela sombre dans le drame...
A.: Oui, bon. Ta photo, c'est Lisbonne? Je ne m'en souviens pas!
Z. : Mais non, Lisbonne c'était dans le film!
A.: Alors, où est-ce?
Z. Marseille. La corniche vue d'une jolie demeure de la colline Bompard, un petit matin d'automne.
A.: Tu m'excuseras, je n'aurais pas deviné. Le point de vue est très chouette! Tu m'aurais montré la Bonne Mère...



Z. Là, comme çà?
A. : Ah, bien sûr! Pris de la Gare Saint Charles? Ses escaliers sont presque tout ce que je connais de cette ville!
Z.: Je les aime beaucoup pour ce qu'ils sont et ce qu'ils représentent : la descente progressive vers l'orient, en passant par la rue d'Athènes et la Canebière! On peut trouver un peu lourdes les statues allégoriques qui les décorent, mais je trouve un charme certain au corps lascif d'une princesse khmère sur sa couche, sensé représenter les « colonies d'Asie ». Je la préfère de loin à l'austère représentation de la Marseille grecque qui la domine. Au delà des détails, l'ensemble est photogénique et aurait beaucoup plu à Eisenstein!



Quand on admire l'escalier en contre-plongée, la montée vers la gare paraît plus joyeuse, mais moi qui suis gourmand, je veux le descendre vers Noailles. A Marseille, Noailles rime, richement, avec victuailles. Le marché et les étals de magasin qui l'entourent donnent faim. Cela tombe bien: les restaurants n'y manquent pas, et moi, j'aime le Fémina pour son couscous berbère à la semoule d'orge.
A. : On descend les escaliers, et hop! on est déjà sur l'autre rive?
Z.: Presque. Malgré les vicissitudes, Marseille reste le premier port méditerranéen, on y trouve donc toutes les cuisines de la Méditerranée, et d'ailleurs.
A : Comme aurait dit Apollinaire : « Te voici à Marseille au milieu des pastèques »...
Z : Plus loin, les soirs d'opéra, après le spectacle, tu pourras prendre des lasagnes ou des pieds paquets au milieu des chanteurs et sous le portrait de Garibaldi, chez Vincent, une maison sicilienne. Le Nero d'Avola s'y déguste avec plaisir. Pour la cuisine corse, il faut aller de préférence au Panier, le quartier des corses.
A. : J'ai lu quelque part que Marseille était la première ville corse de France, la deuxième ville arménienne, la deuxième ville comorienne au monde, quant aux italiens, aux grecs et aux maghrébins, ils sont chez eux à Marseille...presque depuis 2600 ans, non?
Z.: Si. Et si, lestés d'un bon repas on repartait vers les hauteurs spirituelles?
A.: Vers Notre Dame de la Garde?
Z. : Elle-même!
A. : Après un bon repas, c'est un peu difficile. Mais la perspective de vues réjouissantes sur la Corniche mérite sans doute cet effort.
Z. : Alors, allons-y par le jardin Puget, dédié au sculpteur et architecte marseillais de la « Vieille Charité ». Sous les arbres du jardin, on peut déjà avoir quelques vues splendides sur le Vieux Port et la Joliette, mais en grimpant par la rue Vauvenargues, on atteint Notre Dame, et la vue sur la baie, la corniche, les îles, est une récompense pour le grimpeur.

samedi 26 décembre 2009

Identité valenciennoise

Nous étions allés voir au Musée des Beaux Arts de Valenciennes une exposition consacrée à Jean-Baptiste Vanmour, peintre né, comme Antoine Watteau, à Valenciennes, qui serait resté obscur s'il ne s'était établi à Constantinople.


Au retour, je proposais à ma compagne de visiter la célèbre Bibliothèque des Jésuites, au sein de l'ancien collège Sainte Croix, transformé en bibliothèque municipale depuis 1765.
Un gardien nous accueille, et décide de nous servir de guide. Il nous mène au lieu le plus précieux : la grande salle du premier étage, où siège l'authentique bibliothèque fondée par les jésuites en 1740. Il nous montre ces lieux majestueux, son pavage rouge d'époque, la voûte élevée de sept mètres dominant des étagères copieusement garnies d'ouvrages anciens, répartis de part et d'autres de la pièce en deux fois six alcôves surmontées chacunes des effigies de trois jésuites passés à la postérité . Notre guide nous montre, évidemment, le portait de Saint Ignace de Loyola en nous rappelant qu'il est le fondateur de l'ordre, et précise que les ouvrages sont regroupés de manière thématique en fonction des sujets de prédilection des jésuites concernés. Je crois discerner le portrait d'Athanasius Kirscher, qui m'est devenu familier par la plume de Jean Marie Blas de Roblès. Après vérification, c'est bien lui, le premier éditeur d'un dictionnaire de chinois!
Notre guide nous vante l'ouverture d'esprit des jésuites, leur universalisme, qui les a d'ailleurs, dit-il, fait chasser du royaume en 1762!
Il nous présente un agrandissement du manuscrit le plus précieux de la bibliothèque : le Cantilène de Sainte Eulalie, en nous précisant qu'il s'agit du premier texte littéraire en français que l'on ait conservé. Il précise que le contexte de ce document a permis de le dater du IXe siècle.
Puis il nous invite à tourner les yeux vers la grande fresque qui domine le mur d'entrée de la pièce. Il nous précise qu'il s'agit d'une fresque inspirée de « L' Ecole d'Athènes » que Raphaël a peinte pour la bibliothèque des papes au Vatican, et qui fait face, comme à Rome, à une autre fresque intitulée « La dispute du Saint Sacrement ».

Il nous dit qu'à son avis, ce tableau exprime les idées laïques des jésuites – en tout cas,plus exactement, leur tolérance et universalisme - . Sur ce tableau, dont j'ai appris qu'il s'intitule « La Raison des Anciens », du peintre Bernard-Joseph Wamps, il nous montre sur la gauche le roi Ptolémée, une carte à ses pieds, au second plan, au milieur, Saint Paul, et il est très fier de nous montrer, sur la droite, au premier plan, comme dans le tableau de Raphaël, le portrait d'Averroes, traducteur et commentateur d'Aristote, en nous précisant qu'il était musulman, ce qui ne nous avait pas frappé dès l'abord...

Il nous conduit dans l'autre aile du collège pour nous faire admirer les charpentes conservées du bâtiment, et nous mène enfin obligeamment jusqu'à l'exposition du mois, consacrée à un certain Israëlis Bidermanas, dit IZIS, né en Lituanie, photographe et ami de Jacques Prévert, en nous remerciant de l'intérêt que nous avons porté à ses propos.