vendredi 25 juillet 2008

Livre 2 : QUOIQUE LES ETUVES FUSSENT CHAUDES ENCORE...

QUOIQUE LES ETUVES FUSSENT CHAUDES ENCORE...


C’est l’antiquité tout entière qui Se dresse sur ce ciel antique…

Guy de Maupassant
La vie errante


Z. : Enée, quittant Didon, mit, dit-on, le cap sur la Sicile pour se recueillir sur la tombe de son père, à Erice. Certains de ses compagnons de fuite s’y étaient établis. Probalement fit-il escale à Sciacca, ce port tranquille un peu oublié des touristes, mais à la mer si bleue.

A.: Malgré toutes ses splendeurs, je redoute de retourner sur l’île où Thésée m’abandonna. Mais Sciacca n’est-il pas le lieu où mon complice Dédale se réfugia pour échapper à la colère de Minos, mon terrible père ? On dit même qu’il y créa les bains thermaux les plus anciens et les plus célèbres de l’île, et y ébouillanta Minos qui l’avait retrouvé.

Z. : Ébouillanta ou fit mourir d'un collapsus? On dit que dans les vapeurs d'eau à 40% qui viennent des grottes du Mont Kronos (aujourd’hui Kronio), qui s'expose plus d'une heure s'expose à l'arrêt cardiaque. Ces bains sont, en effet, connus depuis l’antiquité, et ses grottes fréquentées dès le néolithique, avant que des phénomènes volcaniques provoquent les bains de vapeur naturels qui ont favorisé le thermalisme. Je veux faire une halte dans ce port qui fait face à la Tunisie. Il porte, paraît-il, toutes les traces des civilisations qui peuplèrent la Sicile : phéniciens, grecs, carthaginois, romains, juifs des différentes diasporas, arabes, normands...
A: Tu as raison. Sur cette île où subsiste une partie de mes racines, tu trouveras à profusion les plus belles architectures léguées par ces peuples qui tentèrent de l’apprivoiser.
Si, comme Enée, comme les carthaginois ou les Arabes, tu fais escale à Sciacca, tu ne seras pas loin des splendeurs d’Agrigente, de Sélinonte et Ségeste. Relis au passage les pages sublimes de Maupassant sur ces lieux.
Trop peu connaissent les charmes de ce port et de sa ville de 40 000 âmes. Imagine que c’est d’ici que partaient une partie des céréales dont l’empire romain avait besoin, au moment où fonctionnaient les "Thermae Selinuntinae".

C’est aussi par ici que les conquérants arabes venus de l’Ifriqiya voisine arrivèrent et lui donnèrent son nom actuel : Sciacca se prononce Shakka, l’eau. La ville fut, sous la domination arabe, un port d’échanges prospère avec Tunis, grâce à ses commerçants juifs descendants des premières diasporas.
De la ville arabe, Sciacca en a l’allure générale. Levant les yeux du port, tu admireras la ville blanche accrochée à une colline avant d’arriver au Porto vecchio. Je te promènerai dans les rues étroites de cette Médina, qui montent vers le sommet de la colline. Nous nous arrêterons à la Chiesa di san Nicolo la Latina. C’est la plus ancienne église de Sciacca, elle date du XIIe siècle ; elle est de style arabo-normand et située dans l’ancien quartier …Juif ! Et cette église porte les traces de la cohabitation conflictuelle entre les arabes et les rois normands. Cette cohabitation ne fut pas toujours conflictuelle : Al Idrisi, le géographe, n’a-t-il pas écrit son illustre livre de géographie Al kitab al Rujari pour le compte du roi normand Roger, que les arabes considéraient alors comme leur Sultan ?
À l’ouest de la ville tu verras aussi, en témoignage de l’influence arabe, la remarquable Porta del Salvatore, de style hispano-mauresque. Elle date du XVIe siècle, cette fois : des artistes chassés d’Espagne ?

Z : Je me suis laissé dire que l’un des plats typiques du sud de la Sicile était le couscous ?

A : Venant de toi, la remarque ne m’étonne pas! C’est parfaitement exact. J’y connais un excellent restaurant qui fait un cuscus de poissons remarquable et typiquement sicilien : parfumé à la noix de muscade, au clou de girofle, au persil plat, au céleri et au fenouil.
Le couscous est au poisson, car Sciacca est un port de pêche réputé : la daurade et l’espadon entrent dans sa composition.
Mais,peut-être, préfèreras-tu le couscous sucré des sœurs du Santo Spirito à Agrigente, la Jirganti des Arabes ? En manger n’est dans ce cas pas de la gourmandise, mais de la charité.
Quant aux oranges merveilleuses de Sicile, aux citrons lumie dont chaque famille se sert pour faire le limoncello, ou le cedra dont on fait les confitures, ce sont les arabes qui les ont amenés et mis en culture, comme le riz, la vigne, le lin, le ver à soie...
Tu trouveras aussi trace de ces influences arabes dans les céramiques qui font la réputation de Sciacca dans toute l’île. Les motifs moresques -des carreaux blancs et bleus- du maestro Gaspare Lombardo ornent le Duomo de Monreale.
Depuis l’âge d’or arabo-normand, cependant, la petite cité a perdu de son lustre après les luttes épiques entre les comtes Luna et les Perollo.
Tout juste la ville fit parler d’elle quand, en 1831, un dix sept juillet, surgit des fonds de la mer, au large de ses côtes, mue par un mouvement volcanique, une île qu’on appela Fernandinea en hommage aux Bourbons de Naples. Elle disparut sous la mer quatre mois plus tard, non sans avoir entretenu une querelle diplomatique avec la couronne britannique, alors présente à Malte.


Heureusement pour Sciacca, les vertus thermales de la ville -que n’ignoraient sans doute pas les arabes - ont été remises en valeur.
Bien sûr, en montant vers le mont Kronio, les étuves de Dédale -devenues par la grâce du saint local stufe di San Calogero - proposent aujourd’hui bains et massages de boue.
Nous y monterons surtout pour admirer, du monastère San Calogero, la vue qu’on y découvre sur l’ensemble de la côte. Dans la ville même, la station termale prodigue les soins de ses eaux sulfureuses.

On peut même s’y baigner, si tu veux. Ne crains rien. La température de l’eau ne risque pas de nous ébouillanter : tout juste de nous rafraîchir, mais le matin, seulement.



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