mercredi 23 juillet 2008

Livre Premier: SUITE DE DIVERTISSEMENTS POUR QUI AIME PARCOURIR LE MONDE


LISBON REVISITED.


La préparation du terrain aurait été rondement menée.

J’aurais commencé par le cinéma : au début de l’histoire, je t’aurais montré « Lisbon story » de Wim Wenders, avec la bande son du groupe Madredeus.

J’aurais ensuite déniché une vieille copie VHS de « La ville blanche » de Tanner.

Malgré la qualité défaillante du support, tu y aurais découvert les murs blancs de l’Alfama (déformation de l’arabe : alhama, évoquant la présence d’anciennes fontaines sur cette colline), et moi je me serais remémoré un film dont le souvenir s’estompait.

Passant du noir et blanc à la couleur, j’aurais trouvé, je ne sais trop comment, « Souvenir de la Maison Jaune », un film de et avec Joao Cesar Monteiro. Je savais que tu aurais été séduite par l’étrangeté de sa construction, par Monteiro lui-même, son humour, son personnage lunaire au visage évoquant vaguement la tête de Fernando Pessoa, et par les azulejos forcément azuréens qu’on découvre au fil de ses errances lisboètes.


Je t’aurais dit que les azulejos découverts tout au long du film et qui décorent les demeures des plus modestes aux plus fastueuses, les bâtiments publics comme les églises baroques, étaient manifestement d’origine arabe. Pourtant, les Portugais, surtout à l’époque baroque, avaient su se défaire des motifs abstraits pour représenter, le plus souvent dans des motifs peints au bleu de cobalt, des scènes religieuses ou de genre.



Tu aurais déniché un ouvrage sur les collections du Museu Nacional do Azulejo, couvent Madre de Deus.

J’aurais aussi trouvé un moment pour te faire écouter Bevinda, naguère plus portugaise que ceux qui vivent en son pays d’origine, et les violoncelles chaleureux qui l’accompagnent dans son album « Pessoa em pessoas ». Et les fadistes Christina Branco, Misia ou encore « la » Guerreiro, accompagnée d'une guitare portugaise qui pleure en riant, et vice-versa . Pour le plaisir d’entendre chanter la langue portugaise qui se chuchote parfois dans les quartiers de Roubaix, la capturer dans le pavillon de l’oreille.

Tu m’aurais alors fait part de tes propres découvertes en matière de fado, et de l’étrange prémonition de la mort d’Amalia Rodriguez dont tu gardais le souvenir.

(Du fado, une chanson dit :
Je me promène à midi sur les quais
Et un soir j’entends les fados
Pousser leur plainte dans les profondeurs de la nuit
La vie est une tristesse immense
Tout mon être est étreint
Dans cette torture qu’est l’attente.

C’est un peu toujours cela un fado. Je me rassure pour les Portugais, et parfois pour moi-même, en me souvenant de ce qu’écrit Kundera : « le chemin de la chair passe par la tristesse ». Parfois.)

Tu m’aurais aussi parlé d’Antonio Lobo Antunes, et, particulièrement de l’ ’’ Exhortation des crocodiles ». Ces paroles de femmes t’auraient beaucoup plu.
J’aurais mis bien en évidence dans ma bibliothèque, dans laquelle il t’était arrivé de picorer, les œuvres de Fernando Pessoa, de Jose Saramago, « Pereira prétend », et surtout « Requiem », de Tabucchi.

Toutes les photos de mon séjour de 91, que j’avais accumulées en autant de signets dans la biographie de Pessoa par Brechon, seraient comme par hasard tombées sur le carrelage, et tu les aurais donc vues de tes propres yeux.


J’aurais même renforcé ta curiosité en laissant sur le bureau les œuvres poétiques d’Alvaro de Campos (l’un des hétéronymes de Pessoa), ouvertes au beau milieu de son Ode Maritime.

C’était une excellente entrée en matière pour parler du Tage, ce fleuve si large et majestueux à Lisbonne qu’Ulysse en tomba, paraît-il, amoureux. J’en aurais profité pour glisser dans la conversation que je ne concevais plus désormais d’arriver à Lisbonne autrement que par la mer.


« Pour le voyageur qui arrive par la mer, Lisbonne, même de loin, s’élève comme une vision de rêve, et se découpe clairement contre le bleu vif du ciel que le soleil réchauffe de son or », écrit Pessoa. Cela ne se discute donc pas. L’idée de l’arrivée par la mer nous aurait remis en mémoire les vers de Cendrars :

Au large du Portugal la mer est couverte de barques et de chalutiers de pêche
Elle est d’un bleu constant et d’une transparence pélagique…

Je me fie toujours à ton sens de l’organisation et tu te serais donc mise en quête d’informations pour savoir comment parvenir en bateau à Lisbonne et débarquer au Terreiro do Paço.

Nous aurions convenu que l’automne était le moment le plus propice à cette escapade. Cette saison est en effet plus sèche que le printemps, et elle serait délicieuse, si, par contraste avec le bleu des azulejos et d’un ciel plus clément, on voulait bien admirer les paysages qui s’enflamment de feuilles rouges et jaunes ocre…

Il fallait juste combiner :
Les dates de passage des bateaux.
Les horaires du train couchettes qui descend d’Irun vers Lisbonne, mais qui s’arrête à Porto, lieu de départ du bateau. Nous aurions fait en sorte de s’y arrêter un peu.
La recherche d’un hôtel modeste mais de caractère, dont nous pourrions nous souvenir.

Notre choix se serait porté sur le « Ninho das Aguias » (nid d’aigle, évidemment !), un hôtel près de la Citadelle San Jorge disposant d’une vue exceptionnelle. Vue sur le Tage d’un côté, vue de l’autre sur les paons qui squattent les hauteurs de la citadelle. Une chambre aux meubles luisants, polis par les ans.

J’aurais - évidemment ! - complété mon guide « Voir » d’une édition récente de l’incontournable « Guide du Routard », pour que nous puissions composer à deux le programme de nos découvertes. En ménageant du temps pour la flânerie, la lecture, les caresses... et quelques bains si le temps le permettait, vers les plages.

Tu y aurais donc repéré nombre de coins de verdure propices au repos, de la citadelle si proche de l’hôtel convoité, au jardin de la Fondation Gulbenkian. Je t’aurais raconté que j’y avais jadis photographié avec leur consentement un jeune couple luso-hollandais émouvant (surtout elle !).

… La quête aurait été belle et passionnante, mais mémorables davantage encore l’arrivée à Lisbonne et les premiers pas sur la terre ferme, Praça do Comércio. Tu m’aurais alors témoigné ta reconnaissance d’un baiser fougueux, comme sur la photo de Stephen Sheffield qui orne la couverture du recueil de Tabucchi « Il se fait tard, de plus en plus tard ».

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