vendredi 25 juillet 2008

Livre 2 : QUAND TOUT COMMENCE À REMUER…

QUAND TOUT COMMENCE À REMUER…


Mais que cherchent-elles,nos âmes, à voyager ainsi ?

Georges Séféris


Z : Le Pirée, c’est pour moi comme pour beaucoup le refrain lancinant d’une chanson interprétée par Melina Mercouri dans le film de Jules Dassin « Jamais le dimanche ». Ta paidia tou peiraia, composé tout de même par Manos Hadzikakis, c’est sa voix, à la sensualité si particulière, que j’entends à jamais, quand je pense au port d’Athènes, même si une version récente, un vrai hommage rendu par Dominique A., devrais-je dire, a fait le tour des radios. Pourtant, je préfère les mots grecs de la chanson qui font rimer philia, poulia,paidia et Peiraia.

J’ai beau chercher, je ne trouve pas d’autre port Qui me rende aussi folle que le Pirée…

Mais pour toi ?

A : Imagine le Pirée, quand tout commence à remuer. Cinq heures du matin. On quitte le monde antique ou l’on y va. On arrive dans une gare, un grand hangar, à Kentriko limani. Peu à peu, dans ce port immense et laid qui fait tourner la tête, s’agglutinent taxis, voitures ou jeunes gens avec leurs sacs à dos. Ça court dans tous les sens. On respire les odeurs de fritures, de gyros. On hèle les marchands de koulouria, ces petites couronnes de pain avec ou sans sucre qu’on déguste de bon matin. Tout semble sale, mais c’est pourtant i porta tou paradeiou, la porte du paradis, Heaven’s Gate. C’est la panique ! Trouver le bon bateau ! Puis c’est l’attente. Il est maintenant sept heures du matin, et il fait déjà chaud. On entend les insultes des gens du port, o malakas. Elles se mélangent à cette heure avec les cris des mouettes qui tentent parfois, jusque dans les mains, de nous voler les gourmandises achetées au port.Une recommandation : surtout, lors des étapes, ne pas sortir trop longtemps !

Z : Pour toi, le Pirée est un lieu de passage. Pour Jacques Lacarrière, la ville de Thémistocle, c’est aussi une étape. Le lieu où, dans les cafés populaires et les tavernes « à bouzoukia », il a découvert les rébétika. Ces blues des « mauvais garçons », rebetes, sont des chants de rebelles et de laissés pour compte.

A : …Ou des femmes en quête d’amour.

J’ai pris la route, je viens sous la pluie Et je suis trempée, Je siffle juste au-dessous de ton nid Ouvre, fais-moi rentrer Pour que je dorme, fais-moi le lit…

Z : Cette musique a, paraît-il, quelques racines parmi les grecs d’Asie Mineure, et elle a inspiré des compositeurs célèbres, comme Manos Hadzikakis, justement. Ces chants sont le support d’une danse, le zébétiko, dont Lacarrière écrit qu’il est « une danse d’homme exclusivement– même si de nos jours les touristes des deux sexes se mettent à la singer -une danse d’hommes marginaux, solitaires, et surtout libertaires. C’est une danse de pure inspiration qui ne comporte que des pas et des figures sommaires, une danse où seule compte l’intériorité du danseur. »
Plus loin, il se souvient : « Je suis près du Pirée, dans les années 60, dans le quartier des Arsenaux et des chantiers maritimes, à Pérama, juste en face de l’île de Salamine. Je suis assis dans une taverne tout à fait populaire, avec des amis grecs…Sur la table, des hors d’œuvres en pagaille, olives, tomates, poulpes, fèves, feuilles de vignes, et surtout de l’ouzo et du vin résiné. Ce dernier, pour bien danser, est aussi nécessaire que les jambes. »
Autrefois, il paraît que c’était le haschish qui procurait l’ivresse nécessaire au bon danseur, la mastoura.
Dans « L’été grec », il évoque les repas bon marché pris dans les tavernes populaires, arni kokinisto (sauté d’agneau), pastistsio (macaroni et viande hachée), mélizanes gemistes (aubergines farcies)…et les hôtels douteux où « pour 15 drachmes, on trouvait une chambre avec un nombre raisonnable de blattes… »

A : Tout finit par remuer, même la nuit : le corps du danseur de zébétiko, les blattes…


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