samedi 26 décembre 2009

Identité valenciennoise

Nous étions allés voir au Musée des Beaux Arts de Valenciennes une exposition consacrée à Jean-Baptiste Vanmour, peintre né, comme Antoine Watteau, à Valenciennes, qui serait resté obscur s'il ne s'était établi à Constantinople.


Au retour, je proposais à ma compagne de visiter la célèbre Bibliothèque des Jésuites, au sein de l'ancien collège Sainte Croix, transformé en bibliothèque municipale depuis 1765.
Un gardien nous accueille, et décide de nous servir de guide. Il nous mène au lieu le plus précieux : la grande salle du premier étage, où siège l'authentique bibliothèque fondée par les jésuites en 1740. Il nous montre ces lieux majestueux, son pavage rouge d'époque, la voûte élevée de sept mètres dominant des étagères copieusement garnies d'ouvrages anciens, répartis de part et d'autres de la pièce en deux fois six alcôves surmontées chacunes des effigies de trois jésuites passés à la postérité . Notre guide nous montre, évidemment, le portait de Saint Ignace de Loyola en nous rappelant qu'il est le fondateur de l'ordre, et précise que les ouvrages sont regroupés de manière thématique en fonction des sujets de prédilection des jésuites concernés. Je crois discerner le portrait d'Athanasius Kirscher, qui m'est devenu familier par la plume de Jean Marie Blas de Roblès. Après vérification, c'est bien lui, le premier éditeur d'un dictionnaire de chinois!
Notre guide nous vante l'ouverture d'esprit des jésuites, leur universalisme, qui les a d'ailleurs, dit-il, fait chasser du royaume en 1762!
Il nous présente un agrandissement du manuscrit le plus précieux de la bibliothèque : le Cantilène de Sainte Eulalie, en nous précisant qu'il s'agit du premier texte littéraire en français que l'on ait conservé. Il précise que le contexte de ce document a permis de le dater du IXe siècle.
Puis il nous invite à tourner les yeux vers la grande fresque qui domine le mur d'entrée de la pièce. Il nous précise qu'il s'agit d'une fresque inspirée de « L' Ecole d'Athènes » que Raphaël a peinte pour la bibliothèque des papes au Vatican, et qui fait face, comme à Rome, à une autre fresque intitulée « La dispute du Saint Sacrement ».

Il nous dit qu'à son avis, ce tableau exprime les idées laïques des jésuites – en tout cas,plus exactement, leur tolérance et universalisme - . Sur ce tableau, dont j'ai appris qu'il s'intitule « La Raison des Anciens », du peintre Bernard-Joseph Wamps, il nous montre sur la gauche le roi Ptolémée, une carte à ses pieds, au second plan, au milieur, Saint Paul, et il est très fier de nous montrer, sur la droite, au premier plan, comme dans le tableau de Raphaël, le portrait d'Averroes, traducteur et commentateur d'Aristote, en nous précisant qu'il était musulman, ce qui ne nous avait pas frappé dès l'abord...

Il nous conduit dans l'autre aile du collège pour nous faire admirer les charpentes conservées du bâtiment, et nous mène enfin obligeamment jusqu'à l'exposition du mois, consacrée à un certain Israëlis Bidermanas, dit IZIS, né en Lituanie, photographe et ami de Jacques Prévert, en nous remerciant de l'intérêt que nous avons porté à ses propos.

samedi 20 juin 2009

Appendice : ZENON ET SA CONSCIENCE, SVEVO ET SA TÊTE


À nos lieux communs
(dédicace de Sandrine Rousseau)

Zénon: Poursuivi par le destin! Un (vraiment) beau dimanche de mai, je parcourais les allées de la Gare Saint Sauveur de Lille, où se tenait un grand barnum consacré à l'Europe orientale. Je ruminais mon absence à un concert klezmer l'avant-veille. Sur un stand, je découvrais un livre de Claudio Magris intitulé « Microcosmes ». J'ai lu la quatrième de couverture : « Cette fois Claudio Magris nous promène du café San Marco à l'église du Sacré-Coeur, à Trieste, en passant par quelques endroits frontaliers, marginaux, secrets d'une Europe à la mémoire vive et au passé brûlant ». Alléchant, non?
Ariane : Oui,non, peut-être. Mais encore?
Z.: Claudio Magris est Triestin. J'avais, quand j'ai commencé ce petit périple, renoncé à te demander des nouvelles de Trieste, comme de sa prestigieuse presque voisine d'Adriatique, Venise. De l'une on a tellement dit, et de l'autre, j'avais à la fois trop peu à dire et trop peu à me mettre sous les dents.
A : Nous aurions tort de ne pas nous intéresser à Trieste. C'est une ville qui m'a fait rêver naguère. Je lisais autrefois l' « Autre journal », une publication mythique, fortement documentée, qui me passionnait. Et j'ai le souvenir, un jour, d'avoir lu un article sur le Centre International de Physique Théorique qui y est implanté, ainsi que sur Abdus Salam, prix Nobel de Physique pakistanais ( c'est pour l'instant le seul de ce pays) qui l'avait créé et le dirigeait. Cette ruche, qui porte désormais son nom , permettait et permet encore à de jeunes physiciens du tiers-monde de développer leurs recherches. Je me dis que le lieu est bien trouvé, car Trieste est depuis longtemps un pont entre les cultures, à la frontière entre les cultures latine, germanique et slave. C'est depuis longtemps une ville cosmopolite qui a accueilli très tôt, à côté des italiens, grecs, albanais, allemands, slaves et qui a hébergé de nombreux cultes, catholiques, protestants, orthodoxes, juifs de toutes origines. Aujourd'hui, dans ce port international, on y côtoie des chinois, des Africains, ses Sud-Américains, et, bien sûr, des personnes originaires du sous-continent indien.
Z: Un moment, ce qu'en avait écrit Olivier Rolin ( « Triste Trieste », dans « Sept Villes ») m'avait un peu ouvert l'appétit, pour me le décourager par son titre. Au surplus, un port industriel, une armée de banquiers et de courtiers d'assurance... Mais cet après-midi de mai, j'ai commencé à découvrir ces «microcosmes» triestins, et, en feuilletant les pages du livre de Magris, j'ai lu: «Ulysse de Joyce» (pourquoi n'ai-je jamais parlé de cet Ulysse-là, qui m'a pourtant si fortement intrigué, adolescent?); j'ai lu: « La conscience de Zeno » (ah!); j'ai vu un voyage intime dans des contrées et des lieux hantés de souvenirs chers, et j'ai emporté le livre pour à peine deux petites pièces. Je l'ai lu avidement dans le métro. Si « Voyager, comme raconter - comme vivre-, c'est laisser de côté », comme l'écrit Magris, pourquoi avais-je laissé de côté Trieste? Etait-ce pour mieux y retourner à la rencontre de ses cafés, de ses églises où l'on fait des rencontres, de ses environs aux noms changeants comme on change de frontière? Valcellina, Monte Nevoso – forcément neigeux – « Cherso, Crepsa, Crexa, Chersinium, Kres, Cres – noms latins, illyriens, slaves, italiens », Antholz...Et un jardin public au beau milieu de la ville, où l'on croise, autour d'un lac, une statue de Joyce qui cligne de l'oeil ou celle de Svevo, étêtée, du moins au moment de l'écriture du livre. Un jardin public que jouxte une esplanade où passe une cycliste si chère à l'écrivain.
Toutes ces pistes me donnaient envie d'en lire davantage, et de lire autour du livre de Magris. Relire Rolin . Imaginer la majestueuse place de l'Unité Italienne, l'une des plus vastes d'Europe, qui descend vers l'Adriatique. Et percevoir dans sa ville de Trieste « à la grâce ombrageuse », sous les rides, les traces d'une frappante beauté, comme celle de la fille de Svevo, selon Rolin.
Percevoir les traces de celles et ceux qu'elle a vus naître, comme Svevo, qu'elle a hébergés, comme Stendhal (qui s'y ennuya) ou Joyce; ceux qu'elle a enterré, comme Paul Morand, qui voyagea souvent, et s'enfuit parfois, surtout après ses fredaines vichystes....Comme il l'a souhaité, il gît, « après ce long accident que fut sa vie » dans un des nombreux cimetières de la ville, aux côtés de son épouse grecque de Trieste.
Les traces de tous ces peuples qui s'y sont croisés et parfois combattus, c'est aussi la colline des cimetières, San Saba « une diversité qui est le dernier luxe de l'Occident : nécropoles italienne, anglaise, russe, juive, orthodoxe, grecque ».
Les traces de voyages et de trains de rêve. Là-bas, on entendait le grand bruit et la grande allure si douce du Moskwa-Warszawa-Budapest-Zagreb-Ljubljana, tout comme les miraculeux bruits sourds de l'Espresso 162 Istambul-Athinai-Beograd-Skopje.
A.: Merci pour la paraphrase de Larbaud. Et Zenon, dans tout cela?
Z : j'allais oublier le plus intéressant : l'oeuvre d'Italo Svevo (Italo – Souabe, pseudonyme d' Ettore Schmitz, industriel juif avant de devenir, sous les encouragements de son professeur d'Anglais – Joyce!- et la reconnaissance de ...Valery Larbaud(!), la gloire de la littérature triestine). « La conscience de Zeno », donc. Un récit où le jardin public occupe une place estimable, lieu d'intrigues, de faux semblants et de disputes. Un récit dans lequel les voies et places triestines ont le beau rôle, de Corsia Stadion à Sant'Andrea, en passant par les arcades de Chiozza et le Corso.
Mais ce Zeno, pour intéressant qu'il soit, n'a rien à voir avec moi. Velléitaire en diable et indécis, il aime Ada, mais devant son refus, épouse sa soeur Augusta. Il s'aperçoit qu'il l'aime, mais a une liaison avec une pauvre fille – une fille pauvre aussi- avec laquelle il ne sait pas rompre. Il se met toujours dans des situations impossibles et navigue de quiproquos en malentendus...Un psychanalyste passant par là rend service à ce riche triestin, en l'aidant à s'assumer.

Ma psychanalyse, elle, est en marche. Tu la lis.