Zénon parle d'une très vieille ville.
Ariane : Où as-tu pris cette photo?
Zénon: Tu n'as pas d'idée?
A. : Non. Tu sais, je n'ai pas tant voyagé que cela!
Z. : Vraiment? Notre conversation me rappelle trop une scène de « La fille coupée en deux ». Tu sais, celle où l'héroïne regarde par dessus l'épaule de son vieil amant une photo de Lisbonne...
A. : Je me souviens de la séquence. Une photo d'un tramway descendant dans une rue étroite du Chiado. Et plus tard, une séquence du film où l'héroïne ne trouve rien de mieux que d'y entraîner celui qui prétend lui faire oublier le vieux amant.
Z.: Oui, une histoire d'initiation amoureuse (et même littéraire, quoi que d'un genre qui n'a pas grand'chose à voir, sauf au figuré, avec les histoires de voyage). Une histoire de rupture aussi, de manque, de voyages faits avec d'autres, la vie, quoi, sauf que là, au lieu d'être une comédie un peu triste, cela sombre dans le drame...
A.: Oui, bon. Ta photo, c'est Lisbonne? Je ne m'en souviens pas!
Z. : Mais non, Lisbonne c'était dans le film!
A.: Alors, où est-ce?
Z. Marseille. La corniche vue d'une jolie demeure de la colline Bompard, un petit matin d'automne.
A.: Tu m'excuseras, je n'aurais pas deviné. Le point de vue est très chouette! Tu m'aurais montré la Bonne Mère...
Z. Là, comme çà?
A. : Ah, bien sûr! Pris de la Gare Saint Charles? Ses escaliers sont presque tout ce que je connais de cette ville!
Z.: Je les aime beaucoup pour ce qu'ils sont et ce qu'ils représentent : la descente progressive vers l'orient, en passant par la rue d'Athènes et la Canebière! On peut trouver un peu lourdes les statues allégoriques qui les décorent, mais je trouve un charme certain au corps lascif d'une princesse khmère sur sa couche, sensé représenter les « colonies d'Asie ». Je la préfère de loin à l'austère représentation de la Marseille grecque qui la domine. Au delà des détails, l'ensemble est photogénique et aurait beaucoup plu à Eisenstein!
Quand on admire l'escalier en contre-plongée, la montée vers la gare paraît plus joyeuse, mais moi qui suis gourmand, je veux le descendre vers Noailles. A Marseille, Noailles rime, richement, avec victuailles. Le marché et les étals de magasin qui l'entourent donnent faim. Cela tombe bien: les restaurants n'y manquent pas, et moi, j'aime le Fémina pour son couscous berbère à la semoule d'orge.
A. : On descend les escaliers, et hop! on est déjà sur l'autre rive?
Z.: Presque. Malgré les vicissitudes, Marseille reste le premier port méditerranéen, on y trouve donc toutes les cuisines de la Méditerranée, et d'ailleurs.
A : Comme aurait dit Apollinaire : « Te voici à Marseille au milieu des pastèques »...
Z : Plus loin, les soirs d'opéra, après le spectacle, tu pourras prendre des lasagnes ou des pieds paquets au milieu des chanteurs et sous le portrait de Garibaldi, chez Vincent, une maison sicilienne. Le Nero d'Avola s'y déguste avec plaisir. Pour la cuisine corse, il faut aller de préférence au Panier, le quartier des corses.
A. : J'ai lu quelque part que Marseille était la première ville corse de France, la deuxième ville arménienne, la deuxième ville comorienne au monde, quant aux italiens, aux grecs et aux maghrébins, ils sont chez eux à Marseille...presque depuis 2600 ans, non?
Z.: Si. Et si, lestés d'un bon repas on repartait vers les hauteurs spirituelles?
A.: Vers Notre Dame de la Garde?
Z. : Elle-même!
A. : Après un bon repas, c'est un peu difficile. Mais la perspective de vues réjouissantes sur la Corniche mérite sans doute cet effort.
Z. : Alors, allons-y par le jardin Puget, dédié au sculpteur et architecte marseillais de la « Vieille Charité ». Sous les arbres du jardin, on peut déjà avoir quelques vues splendides sur le Vieux Port et la Joliette, mais en grimpant par la rue Vauvenargues, on atteint Notre Dame, et la vue sur la baie, la corniche, les îles, est une récompense pour le grimpeur.